Language of document : ECLI:EU:T:2018:331

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

6 juin 2018 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation »

Dans l’affaire T‑258/17,

Sergej Arbuzov, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par Me M. Mleziva, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. R. Pekař et J.-P. Hix, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2017, L 58, p. 34), dans la mesure où le nom du requérant a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, D. Spielmann et Z. Csehi, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        Le requérant, M. Sergej Arbuzov, a, notamment, occupé les fonctions de gouverneur de la Banque nationale d’Ukraine ainsi que de Premier ministre de l’Ukraine.

2        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE, le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

3        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. »

4        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

5        Les modalités de ce gel des fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.

6        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures restrictives en cause et définit les modalités de celles-ci en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

7        Les noms des personnes visées par les mesures restrictives apparaissent sur la liste, identique, figurant à l’annexe de la décision 2014/119 et à l’annexe I du règlement no 208/2014 (ci-après la « liste en cause ») avec, notamment, la motivation de leur inscription. À l’origine, le nom du requérant n’apparaissait pas sur la liste en cause.

8        Le 14 avril 2014, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2014/216/PESC, mettant en œuvre la décision 2014/119 (JO 2014, L 111, p. 91), et le règlement d’exécution (UE) no 381/2014, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2014, L 111, p. 33).

9        Par la décision d’exécution 2014/216 et le règlement d’exécution no 381/2014, le nom du requérant a été ajouté sur la liste, avec les informations d’identification « [A]ncien Premier ministre d’Ukraine » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

10      Le 16 juin 2014, le requérant a formé un recours ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2014/119, telle que modifiée par la décision d’exécution 2014/216, en tant qu’elle le concernait. Ce recours a été enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro T‑434/14.

11      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

12      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères de désignation des personnes visées par le gel des fonds et l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

13      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

14      Dans le cadre d’un réexamen de la situation des personnes dont les noms figuraient sur la liste en cause, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, du 5 mars 2015, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, du 5 mars 2015, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »).

15      La décision 2015/364 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives, en ce qui concerne le requérant, jusqu’au 6 mars 2016.

16      Les actes de mars 2015 ont, en substance, mis à jour la liste en cause. À la suite des modifications ainsi introduites dans celle-ci, le nom du requérant y a été maintenu, avec les informations d’identification « [A]ncien Premier ministre de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

17      Par son arrêt du 28 janvier 2016, Arbuzov/Conseil (T‑434/14, non publié, EU:T:2016:46), le Tribunal a annulé la décision 2014/119, telle que modifiée par la décision d’exécution 2014/216, en tant qu’elle visait le requérant.

18      Le 4 mars 2016, le Conseil, à la suite d’un réexamen de la situation des personnes dont les noms figuraient sur la liste en cause, a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

19      En particulier, la décision 2016/318 a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives en cause jusqu’au 6 mars 2017. La motivation concernant le requérant, reprise au point 16 ci-dessus, n’a été modifiée ni par la décision 2016/318 ni par le règlement d’exécution 2016/311.

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 2015, le requérant a introduit un recours ayant pour objet une demande d’annulation des actes de mars 2015, en tant qu’ils le concernent. Ce recours a été enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro T‑221/15. Par la suite, le requérant a adapté la requête, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, afin de demander également l’annulation des actes de mars 2016, en tant qu’ils le concernent.

21      Le 28 avril 2016, le requérant a adressé au Conseil une demande concernant, en substance, le maintien des mesures restrictives à son égard par la décision 2016/318. Sur la base des observations du requérant, le Conseil a posé des questions au bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG »). Les réponses de celui-ci ont été soumises au Conseil le 16 juin et le 7 juillet 2016.

22      Par lettre du 4 août 2016,le Conseil a répondu à la demande du requérant du 28 avril 2016, en rejetant ses arguments et en le renvoyant aux observations présentées dans le cadre de l’affaire T‑221/15. À cette occasion, le Conseil a également accordé au requérant l’accès aux informations complémentaires communiquées par le BPG.

23      Le 4 octobre 2016, le requérant a adressé au Conseil une nouvelle demande de réexamen des mesures restrictives le concernant.

24      Par lettre du 12 décembre 2016, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard, lui a communiqué les motifs de sa décision ainsi que deux lettres du BPG, une du 25 juillet 2016 et une autre du 16 novembre 2016. Il l’a également invité à présenter ses observations éventuelles au plus tard le 13 janvier 2017.

25      Le 14 décembre 2016, le requérant a introduit une nouvelle demande de réexamen auprès du Conseil, qu’il a complétée par une lettre du 13 janvier 2017.

26      Le Conseil a saisi le BPG d’une question supplémentaire. La réponse de celui-ci a été soumise au Conseil le 11 janvier 2017. Par courrier du 27 janvier 2017, le Conseil a communiqué cette réponse au requérant, en précisant qu’il avait jusqu’au 10 février 2017 pour faire part de ses observations éventuelles à cet égard.

27      Par courrier du 7 février 2017,le Conseil a transmis au requérant la lettre du BPG du 27 janvier 2017qu’il avait entre-temps reçue, contenant des informations actualisées sur l’état de la procédure pénale le concernant, et lui a fixé un délai expirant le 13 février 2017 pour présenter ses observations éventuelles à cet égard, ce qu’il a fait par lettre du 10 février 2017.

28      Le 3 mars 2017, le Conseil, à la suite d’un réexamen de la situation des personnes dont les noms figuraient sur la liste, a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34, ci-après la « décision attaquée »), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1).

29      En particulier, la décision attaquée a modifié l’article 5 de la décision 2014/119, en prorogeant les mesures restrictives en cause jusqu’au 6 mars 2018. La motivation concernant le requérant, reprise au point 16 ci-dessus, n’a été modifiée ni par la décision attaquée ni par le règlement d’exécution 2017/374.

30      Le 6 mars 2017, le Conseil a adressé au requérant un courrier dans lequel il rejetait les arguments que ce dernier avait invoqués, dans ses courriers des 14 décembre 2016, 13 janvier et 10 février 2017, contre le renouvellement des mesures restrictives à son égard. Le Conseil a renvoyé le requérant, notamment, aux documents qu’il avait mis à sa disposition dans ses courriers antérieurs ainsi qu’à ses observations présentées dans le cadre de l’affaire T‑221/15. Le Conseil a joint à son courrier un exemplaire de la décision attaquée et a signalé au requérant qu’il avait jusqu’au 1er décembre 2017 pour présenter ses observations concernant une éventuelle prorogation de ces mesures au-delà du 6 mars 2018.

31      Par son arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil (T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478), le Tribunal a rejeté le recours du requérant, à l’égard des actes tant de mars 2015 que de mars 2016.

 Procédure et conclusions des parties

32      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2017, le requérant a introduit le présent recours.

33      Le 14 juillet 2017, le Conseil a déposé le mémoire en défense. Le même jour, il a également présenté une demande motivée conformément à l’article 66 du règlement de procédure, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés au mémoire en défensene soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

34      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 juillet 2017, le requérant a présenté des nouvelles preuves, au sens de l’article 85 du règlement de procédure, concernant le fait que son nom avait entre-temps été retiré de la liste des personnes recherchées sur le plan international établie par Interpol, l’organisation internationale de police criminelle.

35      Le Conseil a déposé au greffe du Tribunal ses observations sur les nouvelles preuves le 25 août 2017.

36      Le requérant n’ayant pas déposé de réplique dans le délai qui lui avait été imparti à cette fin, la phase écrite de la procédure a été close le 28 septembre 2017.

37      Le 11 décembre 2017, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’adresser aux parties des questions pour réponse écrite, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure. Les parties ont répondu à ces questions dans le délai imparti, en produisant des pièces justificatives.

38      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties principales dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

39      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée, en ce qu’elle le concerne ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

40      Le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la décision attaquée serait annulée, ordonner le maintien des effets de celle-ci jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi et, au cas où un pourvoi serait présenté, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

41      Au soutien de son recours, le requérant invoque, en substance, quatre moyens, tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, le deuxième, de la violation du droit d’être entendu, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation et, le quatrième, de la violation du droit de propriété.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

42      En se référant à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), le requérant fait valoir, en substance, que le Conseil ne pouvait pas se limiter à la motivation reprise au point 16 ci-dessus pour maintenir son nom sur la liste en cause par l’adoption de la décision attaquée.

43      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

44      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, « [l]es actes juridiques sont motivés ».

45      En vertu de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités, le droit à une bonne administration comprend notamment l’« obligation pour l’administration de motiver ses décisions ».

46      Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être adaptée à la nature de l’acte attaqué et au contexte dans lequel celui-ci a été adopté. Elle doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’obligation de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 63 et jurisprudence citée).

47      Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et de l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 64 et jurisprudence citée).

48      En particulier, la motivation d’une mesure de gel d’avoirs ne saurait, en principe, consister uniquement en une formulation générale et stéréotypée. Sous les réserves énoncées au point 47 ci-dessus, une telle mesure doit, au contraire, indiquer les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère que la réglementation pertinente est applicable à l’intéressé (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 65 et jurisprudence citée).

49      Il convient enfin de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels il repose. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 66 et jurisprudence citée).

50      En l’espèce, il y a lieu de constater que la motivation retenue lors du maintien du nom du requérant sur la liste en cause par la décision attaquée (voir point 16 ci-dessus) est spécifique et concrète et énonce les éléments qui constituent le fondement dudit maintien, à savoir la circonstance selon laquelle il fait l’objet d’une procédure pénale engagée par les autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics.

51      En outre, le maintien des mesures à l’égard du requérant est intervenu dans un contexte connu par celui-ci, qui avait été informé, lors des échanges avec le Conseil, notamment, des lettres du BPG des 25 juillet et 16 novembre 2016 et du 27 janvier 2017 ainsi que des réponses du BPG aux questions du Conseil (voir points 21, 22, 24, 26 et 27 ci-dessus) (ci-après, prises ensemble, les « nouveaux documents émanant du BPG »), sur lesquelles ce dernier a fondé le maintien desdites mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 68 et jurisprudence citée).

52      Les nouveaux documents émanant du BPG permettent de connaître l’autorité chargée des enquêtes, le numéro et la date d’ouverture de la procédure pénale pertinente engagée à l’égard du requérant, les faits qui lui sont reprochés, les autres personnes et organismes concernés, le montant des fonds publics prétendument détournés, les articles pertinents du code pénal ukrainien ainsi que le fait que le requérant a été informé par écrit des soupçons existant contre lui (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 69) et font état de l’adoption par le tribunal de district [confidentiel] (1) (ci-après le « tribunal de district ») d’une décision du 15 février 2016 (ci-après la « décision du 15 février 2016 »), autorisant le BPG à procéder par défaut.

53      Partant, il ne saurait être considéré que la motivation retenue par le Conseil se limite à reproduire le libellé des critères de désignation ou qu’elle n’indique pas les raisons spécifiques et concrètes du maintien du nom du requérant sur la liste en cause (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 70).

54      La décision attaquée étant suffisamment motivée en ce qui concerne le requérant, il y a lieu de rejeter le premier moyen et d’examiner le troisième moyen, afin d’établir si les motifs sur lesquels le Conseil s’est fondé pour maintenir le nom du requérant sur la liste en cause sont affectés d’une erreur manifeste d’appréciation, ainsi que le prétend celui-ci.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

55      Le requérant fait valoir, en substance, que, lors du maintien des mesures restrictives à son égard par l’adoption de la décision attaquée, le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation, en se fondant sur la brève synthèse de sa situation établie par le BPG, sans demander d’informations complémentaires et sans examiner avec la diligence requise les preuves à décharge qu’il lui avait soumises.

56      Le Conseil rétorque que la décision attaquée repose sur une base factuelle suffisamment solide, constituée notamment par les nouveaux documents émanant du BPG.

 Observations liminaires

57      Il convient de rappeler, d’une part, que le critère de désignation prévu à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, telle que modifiée par la décision 2015/143 (ci-après le « critère pertinent »), en vertu duquel le nom du requérant a été maintenu sur la liste en cause par la décision attaquée, s’applique à des personnes qui ont été « identifiées comme étant responsables » de faits de détournement de fonds publics – ce qui inclut les personnes « faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes » pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens – et, d’autre part, que le critère pertinent doit être interprété en ce sens qu’il ne vise pas de façon abstraite tout fait de détournement de fonds publics, mais plutôt des faits de détournement de fonds ou d’avoirs publics susceptibles de porter atteinte au respect de l’État de droit en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 97 et jurisprudence citée).

58      Le nom du requérant a été maintenu sur la liste en cause par la décision attaquée au motif qu’il était une « [p]ersonne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ».

59      Sur cette base, il convient de vérifier si le maintien du nom du requérant sur la liste a été décidé de manière impartiale et équitable par le Conseil, compte tenu de l’appréciation des éléments de preuve en sa possession, du motif qui fonde ledit maintien ainsi que du critère pertinent.

60      Il y a lieu de rappeler que, si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux critères généraux à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures restrictives, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union européenne s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 100 et jurisprudence citée).

61      En outre, selon la jurisprudence concernant les décisions de maintien de l’inscription du nom d’une personne sur une liste de personnes visées par des mesures restrictives, lorsque des observations sont formulées par la personne ou l’entité concernée au sujet de l’exposé des motifs, l’autorité compétente de l’Union a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci. Par ailleurs, dans le cadre de l’adoption de mesures restrictives, le Conseil est soumis à l’obligation de respecter le principe de bonne administration, consacré par l’article 41 de la Charte, auquel se rattache, selon une jurisprudence constante, l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 101 et jurisprudence citée).

62      Il résulte également de la jurisprudence que, pour apprécier la nature, le mode et l’intensité de la preuve qui peut être exigée du Conseil, il convient de tenir compte de la nature et de la portée spécifique des mesures restrictives ainsi que de leur objectif (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 102 et jurisprudence citée).

63      Ainsi qu’il ressort des considérants 1 et 2 de la décision 2014/119, celle-ci s’inscrit dans le cadre plus général d’une politique de l’Union de soutien aux autorités ukrainiennes destinée à favoriser la stabilisation politique de l’Ukraine. Elle répond ainsi aux objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune, qui sont définis, en particulier, à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, en vertu duquel l’Union met en œuvre une coopération internationale en vue de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 103 et jurisprudence citée).

64      C’est dans ce cadre que les mesures restrictives en cause prévoient le gel des fonds et des ressources économiques notamment de personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien. En effet, la facilitation de la récupération de ces fonds permet de renforcer et de soutenir l’État de droit en Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 104).

65      Il s’ensuit que les mesures restrictives en cause ne visent pas à sanctionner des agissements répréhensibles qui seraient commis par les personnes visées, ni à les dissuader, par la contrainte, de se livrer à de tels agissements. Ces mesures ont pour seul objet de faciliter la constatation par les autorités ukrainiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer le produit de ces détournements. Elles revêtent donc une nature purement conservatoire (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 105 et jurisprudence citée).

66      Ainsi, les mesures restrictives en cause, qui ont été édictées par le Conseil sur la base des compétences qui lui sont conférées par les articles 21 et 29 TUE, sont dépourvues de connotation pénale. Elles ne sauraient donc être assimilées à une décision de gel d’avoirs d’une autorité judiciaire nationale d’un État membre prise dans le cadre de la procédure pénale applicable et dans le respect des garanties offertes par cette procédure. Par conséquent, les exigences s’imposant au Conseil en ce qui concerne les preuves sur lesquelles est fondée l’inscription du nom d’une personne sur la liste de celles faisant l’objet de ce gel d’avoirs ne sauraient être strictement identiques à celles qui s’imposent à l’autorité judiciaire nationale dans le cas susvisé (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 106 et jurisprudence citée).

67      Il convient également de rappeler que le Conseil n’est pas tenu d’entreprendre, d’office et de manière systématique, ses propres investigations ou d’effectuer des vérifications en vue d’obtenir des précisions supplémentaires lorsqu’il dispose déjà d’éléments fournis par les autorités d’un pays tiers pour prendre des mesures restrictives à l’égard de personnes qui en sont originaires et qui y font l’objet de procédures judiciaires (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 107 et jurisprudence citée).

68      En l’espèce, il importe au Conseil de vérifier, d’une part, dans quelle mesure les nouveaux documents émanant du BPG sur lesquels il entend se fonder permettent d’établir que, comme l’indiquent les motifs d’inscription du nom du requérant sur la liste en cause, rappelés au point 58 ci-dessus, celui-ci fait l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour des faits susceptibles de relever d’un détournement de fonds publics et, d’autre part, que cette procédure permet de qualifier ses agissements conformément au critère pertinent. Ce n’est que si ces vérifications n’aboutissaient pas que, au regard de la jurisprudence rappelée au point 61 ci-dessus, il appartiendrait au Conseil d’effectuer des vérifications supplémentaires (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 108 et jurisprudence citée).

69      Par ailleurs, dans le cadre de la coopération régie par les mesures restrictives en cause (voir point 63 ci-dessus), il n’appartient pas, en principe, au Conseil d’examiner et d’apprécier lui-même l’exactitude et la pertinence des éléments sur lesquels les autorités ukrainiennes se fondent pour conduire des procédures pénales visant le requérant pour des faits qualifiables de détournement de fonds publics. En effet, ainsi que cela a été exposé au point 65 ci-dessus, en adoptant les mesures restrictives en cause, le Conseil ne cherche pas à sanctionner lui-même les détournements de fonds publics sur lesquels les autorités ukrainiennes enquêtent, mais à préserver la possibilité pour ces autorités de constater lesdits détournements tout en en recouvrant le produit. C’est donc à ces autorités qu’il appartient, dans le cadre desdites procédures, de vérifier les éléments sur lesquels elles se fondent et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences en ce qui concerne l’aboutissement de ces procédures (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 109 et jurisprudence citée).

70      Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence dont il ressort qu’il n’appartient pas au Conseil de vérifier le bien-fondé des enquêtes dont la personne concernée fait l’objet, mais uniquement de vérifier le bien-fondé de la décision de gel des fonds au regard de ces enquêtes (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 110 et jurisprudence citée).

71      Certes, le Conseil ne saurait entériner, en toutes circonstances, les constatations des autorités ukrainiennes figurant dans les documents fournis par ces dernières. Un tel comportement ne serait pas conforme au principe de bonne administration ni, d’une manière générale, à l’obligation, pour les institutions de l’Union, de respecter les droits fondamentaux dans le cadre de l’application du droit de l’Union, en vertu de l’application combinée de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE et de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 111 et jurisprudence citée).

72      Toutefois, il incombe au Conseil d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, la nécessité de mener des vérifications supplémentaires, en particulier de solliciter des autorités ukrainiennes la communication d’éléments de preuve additionnels si ceux déjà fournis se révèlent insuffisants ou incohérents. En effet, il ne pourrait être exclu que des éléments portés à la connaissance du Conseil, soit par les autorités ukrainiennes elles-mêmes, soit d’une autre manière, ne conduisent cette institution à douter du caractère suffisant des preuves déjà fournies par ces autorités. Par ailleurs, dans le cadre de la faculté qui doit être conférée aux personnes visées de présenter des observations concernant les motifs que le Conseil envisage de retenir pour maintenir leur nom sur la liste en cause, ces personnes sont susceptibles de présenter de tels éléments, voire des éléments à décharge, qui nécessiteraient que le Conseil conduise des vérifications supplémentaires. En particulier, s’il n’appartient pas au Conseil de se substituer aux autorités judiciaires ukrainiennes dans l’appréciation du bien-fondé des procédures pénales mentionnées par les lettres du BPG, il ne peut être exclu que, au regard notamment des observations du requérant, cette institution soit tenue de solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements concernant les éléments sur lesquels ces procédures sont fondées (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 112 et jurisprudence citée).

73      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner les arguments plus spécifiques du requérant, qui ont trait, en substance, à l’objet de la procédure le concernant et à l’état d’avancement de celle-ci.

 Sur l’objet de la procédure pénale visant le requérant

74      Le requérant, en se fondant sur plusieurs documents, fait valoir que l’infraction dont il est accusé et qui est à la base des mesures restrictives en cause n’a occasionné aucune perte de fonds pour la Banque nationale d’Ukraine, et donc pour l’État ukrainien. Aucun détournement de fonds ne serait donc imputable au requérant.

75      Le Conseil soutient, en substance, que les actes reprochés au requérant relèvent de la notion de « détournement de fonds publics », indépendamment de la question de savoir si c’est le requérant ou un tiers qui a tiré profit de ce détournement. Les preuves avancées par le requérant ne démontreraient pas que l’État ukrainien n’a pas subi de préjudice en raison desdits actes.

76      En l’espèce, il convient de constater que le Conseil fonde le maintien des mesures restrictives contre le requérant principalement sur les lettres du BPG des 25 juillet et 16 novembre 2016 et 27 janvier 2017.

77      Dans la lettre du 25 juillet 2016, le BPG rappelle ce qui suit :

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel] ;

–        [confidentiel].

78      Dans la lettre du 16 novembre 2016, le BPG a indiqué qu’il n’y avait pas d’informations supplémentaires concernant la procédure [confidentiel].

79      Dans la lettre du 27 janvier 2017, le BPG a fourni des informations coïncidant en substance avec celles figurant dans la lettre du 25 juillet 2016, tout en ajoutant la précision que [confidentiel] le détournement de cette somme avait réduit les possibilités pour la Banque nationale d’Ukraine d’assurer la stabilité de la monnaie nationale et avait ainsi occasionné un préjudice à l’État ukrainien. Dans sa lettre, le BPG a mentionné la décision du 15 février 2016 et a indiqué que l’enquête préliminaire en question était toujours pendante.

80      En outre, il y a lieu de relever que le Conseil, lors de l’adoption de la décision attaquée, disposait également des informations qu’il avait reçues du BPG en réponse à des questions de sa part.

81      Ainsi, dans ses réponses soumises au Conseil le 7 juillet 2016, premièrement, le BPG a en substance indiqué [confidentiel].

82      [confidentiel].

83      [confidentiel].

84      Il s’ensuit que le maintien des mesures restrictives à l’égard du requérant était fondé sur des éléments de preuve qui permettaient au Conseil de constater de manière univoque l’existence d’une procédure ouverte par l’administration judiciaire ukrainienne à l’égard du requérant et portant sur une infraction de détournement de fonds publics.

85      En effet, il convient de relever que, à la lecture des nouveaux documents émanant du BPG, le Conseil disposait du numéro de la procédure pertinente, de la date de son ouverture, de l’infraction dont le requérant était soupçonné, de l’article correspondant du code pénal ukrainien, des circonstances factuelles pertinentes et de la date de communication d’un avis de suspicion au requérant. Ces documents attestent que cette procédure est menée pour des faits caractérisés de manière suffisamment concrète et précise, de sorte qu’ils ne laissent subsister aucun doute sur l’implication supposée du requérant, d’autant plus que les éléments factuels décrivant l’infraction restent constants et cohérents et sont qualifiés juridiquement de détournement de fonds publics par les autorités ukrainiennes, ce qui correspond au critère pertinent.

86      En outre, les documents portés à la connaissance du Conseil constituent des actes émanant du BPG, à savoir une des plus hautes autorités judiciaires d’Ukraine. En effet, il agit, dans cet État, en qualité de ministère public dans l’administration de la justice pénale et il mène des enquêtes préliminaires dans le cadre de procédures pénales visant, notamment, le détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2017, Yanukovych/Conseil, C‑598/16 P, non publié, EU:C:2017:786, point 53). À cet égard, il ne saurait donc être reproché au Conseil d’avoir considéré les informations transmises par le BPG comme étant correctes et étayées.

87      Par ailleurs, il importe de constater que les documents en cause indiquent que le requérant est soupçonné d’avoir commis une infraction économique portant sur une somme d’argent très importante, [confidentiel].

88      À cet égard, il convient de noter que les mesures restrictives en cause facilitent et complètent les efforts déployés par les autorités ukrainiennes pour récupérer les fonds publics détournés, ce qui relève de l’objectif de renforcer l’État de droit, ainsi que cela a été indiqué aux points 64 et 65 ci-dessus.

89      Sur ce point, il résulte de la lettre du BPG du 25 juillet 2016 que, [confidentiel], à plusieurs reprises durant l’enquête, sur proposition de l’enquêteur, le tribunal de district a adopté des mesures conservatoires concernant le requérant (voir point 77, dernier tiret, ci-dessus). Dès lors, le gel des fonds dans toute l’Union, décidé par le Conseil, renforce l’efficacité de l’initiative prise sur le plan national.

90      Enfin, d’une part, il est encore opportun de relever que la poursuite de crimes économiques, tels que le détournement de fonds publics, est un moyen important pour lutter contre la corruption et que cette lutte constitue, dans le cadre de l’action extérieure de l’Union, un principe relevant de la notion d’État de droit. D’autre part, il convient de relever que l’infraction reprochée au requérant s’insère dans un contexte plus large où une partie non négligeable de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne est soupçonnée d’avoir commis de graves infractions dans la gestion des ressources publiques, menaçant ainsi sérieusement les fondements institutionnels et juridiques du pays et portant notamment atteinte aux principes de légalité, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, du contrôle juridictionnel effectif et d’égalité devant la loi. Il s’ensuit que, dans leur ensemble et compte tenu des fonctions exercées par le requérant au sein de l’ancienne classe dirigeante ukrainienne ainsi que de son poste à la tête de la Banque nationale d’Ukraine au moment de l’infraction dont il est soupçonné, les mesures restrictives en cause contribuent, de manière efficace, à faciliter la poursuite des crimes de détournement de fonds publics commis au détriment des institutions ukrainiennes et permettent qu’il soit plus aisé pour les autorités ukrainiennes d’obtenir la restitution du fruit de tels détournements. Cela permet de faciliter, dans l’hypothèse où les poursuites judiciaires se révéleraient fondées, la répression, par des moyens judiciaires, des actes allégués de corruption commis par des membres de l’ancien régime, contribuant ainsi au soutien de l’État de droit dans ce pays (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 128 et jurisprudence citée).

91      Ainsi, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation quant à l’objet de la procédure pénale concernant le requérant et à la pertinence de celle-ci au regard du critère pertinent que le Conseil a adopté la décision attaquée, en ce qu’elle concerne le requérant.

92      Les arguments du requérant visant à remettre en cause cette conclusion ne sauraient prospérer.

93      En effet, premièrement, l’avis de suspicion du 18 mai 2017, que le requérant invoque comme élément à décharge, ne fait que confirmer ladite conclusion, dans la mesure où il en ressort, en substance, que le requérant est soupçonné d’avoir détourné des fonds en abusant de sa position de gouverneur de la Banque nationale d’Ukraine [confidentiel].

94      Deuxièmement, en ce qui concerne la prétendue absence de préjudice subi par la Banque nationale d’Ukraine, il y a lieu de relever que cet argument est dénué de fondement, puisqu’il ressort de plusieurs nouveaux documents émanant du BPG que le requérant est soupçonné d’avoir transféré des fonds de façon illégale à des fins autres que celles auxquelles ils étaient alloués. Un tel constat correspond à la définition de la notion de « détournement de fonds publics » donnée par la jurisprudence, selon laquelle celle-ci englobe tout acte qui consiste en l’utilisation illicite de ressources appartenant aux collectivités publiques, ou qui sont placées sous leur contrôle, à des fins contraires à celles auxquelles ces ressources sont destinées, en particulier à des fins privées. Pour relever de ladite notion, cette utilisation doit ainsi avoir comme conséquence une atteinte portée aux intérêts financiers de ces collectivités et doit donc avoir causé un préjudice susceptible d’être évalué en termes financiers (voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 138 et jurisprudence citée).

95      [confidentiel].

 Sur l’état d’avancement de la procédure pénale visant le requérant

96      Le requérant souligne que, lors de l’adoption de la décision attaquée, plus d’une année s’était écoulée depuis que, par la décision du 15 février 2016, le tribunal de district avait autorisé le BPG à procéder par défaut, sans que ce dernier soumette toutefois l’affaire à un tribunal. L’enquête serait menée de manière purement formelle, afin notamment que le Conseil puisse proroger les mesures restrictives visant le requérant pour une durée illimitée.

97      Le Conseil est d’avis que la durée de la procédure pénale concernant le requérant n’a, en soi, pas d’incidence directe sur la question de savoir si celui-ci continue à remplir les conditions requises pour que son nom figure encore sur la liste en cause. Cependant, le Conseil prendrait en considération l’aspect temporel lors du réexamen de ladite liste et demanderait régulièrement au BPG des informations sur le déroulement des procédures en cours.

98      Il est constant que, par la décision du 15 février 2016, le tribunal de district a autorisé le BPG à procéder par défaut dans le cadre de la procédure [confidentiel]. Il est également constant que, plus d’un an après l’adoption de ladite décision, le Conseil a prorogé les mesures restrictives visant le requérant tout en ayant reçu du BPG l’information selon laquelle cette procédure se trouvait encore au stade de l’enquête préliminaire, dans la mesure où l’affaire n’avait pas encore été portée devant un tribunal pénal ukrainien.

99      En premier lieu, il convient de noter que la référence faite par le Conseil au fait que des procédures peuvent être retardées par l’absence de la personne concernée est dépourvue de toute pertinence en l’espèce, étant donné que la décision du 15 février 2016 a précisément permis au BPG de procéder par défaut.

100    En second lieu, ainsi que cela résulte des documents déposés par le Conseil en réponse à une question écrite du Tribunal (voir point 37 ci-dessus), pendant la procédure devant le Conseil, le requérant a soulevé la question de l’absence d’évolution de la procédure [confidentiel], en dépit de l’adoption de la décision du 15 février 2016, laquelle permettait au BPG de procéder par défaut. Ainsi, premièrement, dans sa lettre du 4 octobre 2016, le requérant a suggéré au Conseil de demander au BPG pourquoi, si les enquêteurs soutenaient avoir prouvé qu’il était coupable, ils n’avaient pas encore amené l’affaire devant un tribunal, alors que l’enquête était en cours depuis presque deux ans et demi. Deuxièmement, dans sa lettre du 14 décembre 2016 au Conseille requérant, juste après avoir rappelé l’existence de la décision du 15 février 2016, a à nouveau souligné l’absence d’évolution de la procédure en question et a fait valoir que les autorités ukrainiennes cherchaient à maintenir celle-ci pendante aussi longtemps que possible, afin de fournir au Conseil une base pour prolonger les mesures restrictives qui le visaient. Troisièmement, dans sa lettre du 13 janvier 2017 au Conseil, le requérant a clairement fait remarquer qu’il était étonnant que le BPG n’eût pas encore porté l’affaire concernant la procédure [confidentiel] devant un tribunal, au vu, en particulier, du fait que le recours à la procédure par défaut avait été autorisé, bien qu’illégalement, à son avis.

101    À la lumière des observations du requérant résumées au point 100 ci-dessus ainsi que du fait que, depuis la lettre du BPG du 25 juillet 2016 (voir point 77 ci-dessus) à tout le moins, le Conseil était informé de l’existence de la décision du 15 février 2016, il convient de rejeter la thèse de ce dernier, selon laquelle le requérant n’avait pas invoqué avec suffisamment de précision un argument tiré de l’absence d’évolution de la procédure le concernant, nonobstant l’adoption de ladite décision.

102    Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que le Conseil aurait dû solliciter auprès des autorités ukrainiennes des éclaircissements sur les raisons susceptibles de justifier l’absence d’avancement de la procédure [confidentiel], en dépit de l’adoption de la décision du 15 février 2016, à l’instar de ce qu’il a fait s’agissant d’autres aspects de cette procédure qui ne lui semblaient pas suffisamment clairs, notamment à la suite des observations soumises par le requérant.

103    Il s’ensuit que le Conseil ne s’est pas acquitté de l’obligation de diligence qui lui incombait, étant donné que les remarques du requérant auraient dû susciter auprès de lui des interrogations légitimes, justifiant qu’il procède à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes.

104    À cet égard, il y a lieu de préciser que la question n’est pas de savoir si, au vu des éléments portés à la connaissance du Conseil, celui-ci était tenu de mettre fin à l’inscription du nom du requérant sur la liste, mais seulement de savoir s’il était tenu de prendre en compte ces éléments et de procéder à des vérifications supplémentaires ou de solliciter des éclaircissements auprès des autorités ukrainiennes. Dès lors, il suffit que lesdits éléments soient, comme c’est le cas en l’espèce, de nature à susciter des interrogations légitimes concernant le déroulement de l’enquête et le caractère suffisant des informations transmises par le BPG.

105    Il résulte de tout ce qui précède que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant que les observations du requérant concernant l’absence d’avancement de la procédure [confidentiel] ne justifiaient pas de procéder à des vérifications supplémentaires auprès des autorités ukrainiennes, alors que lesdites observations étaient de nature à susciter des interrogations légitimes quant à la suffisance des informations fournies par le BPG en ce qui concerne la procédure [confidentiel] menée à l’encontre du requérant.

106    Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le troisième moyen et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les deuxième et quatrième moyens ou sur les nouvelles preuves (voir point 34 ci-dessus).

107    En ce qui concerne la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire, tendant au maintien des effets de la décision attaquée jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi et, au cas où un pourvoi serait présenté, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision attaquée n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2018. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 janvier 2016, Azarov/Conseil, T‑331/14, EU:T:2016:49, points 70 à 72).

 Sur les dépens

108    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2017/381 du Conseil, du 3 mars 2017, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, est annulée, dans la mesure où le nom de M. Sergej Arbuzov a été maintenu sur la liste des personnes, entités et organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Berardis

Spielmann

Csehi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 juin 2018.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.


1      Données confidentielles occultées.